Nous sommes à peine à la mi-septembre et déjà les mêmes titres dans les mêmes bouches, les mêmes playlists dans les mêmes médias, les mêmes engouements programmés qui dureront ce que durent les roses, les mêmes opinions cueillies dans les mêmes chroniques et servies telles quelles avec le gigot, et les mêmes craintes affolées de manquer le roman de la rentrée “qu’il faut lire absolument”, pitié !
Vingt livres retenus pour les fêtes votives de septembre, et les cinq cents autres à la casse ! Je ne peux, décidément, me faire à cette purge. Alors je me prends à rêver d’une “zone autonome temporaire” (concept créé en 1991 par Hakim Bey) consacrée à la littérature. Une enclave idéale où l’on serait épargné des chœurs consensuels de la propagande littéraire, et où la moindre velléité moutonnière serait chassée à coups de pied.
Une zone joyeuse où une poignée de braconniers, plutôt que d’emprunter les autoroutes embouteillées de la culture, s’engageraient sur des chemins de brousse (Jean Rouch) ou des voies de pirates (Hakim Bey). Une zone éloignée du contrôle des prêtres de l’église culturelle, tous épris de hiérarchie et de compétition, vieilles habitudes. Une zone qui n’aurait nulle intention de durer et qui se dissoudrait avant que les institutions ne l’écrasent, pour se reformer ailleurs et autrement, en attendant des jours meilleurs. Une zone enfin où s’exercerait une pensée “intempestive”, c’est-à-dire une pensée à contre-temps, c’est-à-dire une pensée inactuelle et décalée afin de donner à la réflexion la distance qu’il lui faut.